Le jardin est une expérience sensorielle, tous les sens y sont en éveil et transmettent des indications à notre cerveau. Le philosophe Aristote, dans son ouvrage De Anima, a montré que nos sens nous servent à saisir des informations sur notre environnement. « Le parfum, les couleurs et les sons se répondent » écrivait Charles Baudelaire, cette synesthésie trouve un écho dans le jardin créé pour transmettre des émotions.
La vue
Nos yeux nous permettent de voir tout ce qui nous entoure à commencer par la taille du jardin. Ils peuvent cependant être trompés lorsque des paysagistes talentueux utilisent le phénomène optique qu’est la perspective ralentie pour faire croire au visiteur le fond du parc beaucoup plus près qu’il ne l’est réellement, comme à Vaux-le-Vicomte par exemple. À l’inverse, une perspective accélérée permet de donner l’illusion d’une plus grande distance, c’est un stratagème utilisé dans les petits jardins. La vue permet également d’appréhender les couleurs, le jardinier sait jouer avec elles pour composer son œuvre et créer différents plans, fonds et perspectives notamment grâce aux végétaux. Eduard Petzold dans son ouvrage Le jardin paysager (Die Landschafts-gärtnerei) en 1853 écrit : « La couleur donne l’âme, la vie ; elle produit un effet sensuel sur le sentiment. Elle est la chair et le sang du paysage, et sans elle, la forme reste un squelette... Le jardinier peut faire beaucoup de choses par la disposition des couleurs, et ainsi, il est nécessaire qu’il connaisse les lois de la mise en couleur afin d’en user correctement ». Très âgé, alors qu’il était presque aveugle, Claude Monet ne retient plus que les couleurs de son jardin de Giverny dans ses tableaux.
L’ouïe
L'ouïe est un sens souvent sollicité dans les jardins : chants d’oiseaux, cris d’animaux, tumulte des eaux, mélopées des orgues hydrauliques, murmure du vent, bruissement des plantes, installations sonores contemporaines, etc. Chacun de nous conserve un souvenir de brâme du cerf au loin dans un grand parc, du coassement des grenouilles dans une pièce d’eau ou du bourdonnement des abeilles dans un arbre en fleurs. Nos oreilles peuvent également être séduites par la musique jouée dans des kiosques à musique ou des théâtres de verdure qui participent de la pratique du concert au jardin.
L’odorat
Hummmm... ça sent bon ! dit-on quand on visite une roseraie au mois de juin et que l’on plonge notre nez dans chaque fleur pour apprécier son parfum. Le nez est capable de reconnaître plus de 10 000 odeurs différentes des plus séduisantes comme celle des fleurs ou de certains fruits aux moins agréables comme l’odeur de certains végétaux (hellébore fétide ou fruit du gingko biloba) ou de certains animaux comme les punaises. L’odeur de la terre et de l’humus après un orage est prégnante et nous transporte dans nos souvenirs de visites. On conserve tous en mémoire l’odeur diffusée en marchant sur un tapis de menthe, en effleurant une bordure de lavande ou en froissant une feuille de pélargonium.
Le goût
Marcel Proust conservait le souvenir de la madeleine de tante Léonie, les jardins eux nous offrent une multitude de goûts. Les papilles de notre langue nous permettent de capter différentes saveurs, l’acide de la rhubarbe, le sucré de la fraise, le salé du radis, l’âpreté du coing ou encore l’amertume de l’olive. Certains potagers ou vergers conservatoires font connaître les variétés anciennes de fruits et de légumes aux goûts oubliés. Dominique Louise Pélegrin dans ses Stratégies de la framboise : aventures potagères, nous emmène dans le potager de son enfance où elle mettait en œuvre de nombreux stratagèmes pour, plusieurs fois par jour, profiter du goût acidulé des framboises. Ces fruits de la terre magnifiés ou non par la cuisine sont le territoire de rêves et de souvenirs d'enfance, de sensations toujours présentes.
Le toucher
Notre peau nous permet de ressentir la matière, le piquant du tronc de l’araucaria, le velouté des stachys (dites oreilles d’ours), le filandreux du tronc des séquoias, le pelucheux de certaines graminées ou des carex. Certains souvenirs restent cuisants comme lorsque l’on tombe dans les orties ou dans les ronces… ou délicieux comme de se coucher sur un lit de mousse. Les mal-voyants auront plaisir à toucher des plantes dont les textures sont très particulières et à les associer à leurs odeurs. L’approche tactile est souvent mise en avant dans des jardins à visées thérapeutiques.
Depuis toujours, le jardin met tous nos sens en éveil, il nous fait rêver et nous souvenir, il stimule notre imagination et nous procure bonheur, sérénité et félicité.
Ce thème peut être décliné dans tous les jardins même les plus modestes.
Une journée d'étude sur le thème "Les cinq sens au jardin" aura lieu le 7 février à L'Institut national d'histoire de l'art (INHA).
Direction générale des patrimoines et de l’architecture, service du patrimoine, sous-direction des monuments historiques et des sites patrimoniaux.